"On a choisi de donner la priorité à l'adaptation plutôt qu'à l'atténuation du changement climatique car aujourd'hui, le processus est déjà en cours", note Jean-Marc Guehl, coordinateur du métaprogramme Adaptation au changement climatique de l'agriculture et de la forêt (Accaf) à l'Inra (1) . En fait, dans le cas des forêts, atténuation et adaptation sont étroitement intriquées : "Une forêt en bonne santé permet de stocker le CO2, et un changement climatique atténué rendra plus aisée son adaptation," souligne Olivier Picard, qui coordonne le RMT-Aforce (2) à l'Institut du développement forestier. Toutefois, à l'heure où les premiers effets notables du changement climatique se font ressentir dans les forêts, c'est bien en termes d'adaptation uniquement que le Pnacc (3) tente d'apporter une réponse, à court comme à long terme (voir encadré).
A court terme, c'est la survenue d'évènements extrêmes qui a attisé une prise de conscience des effets du changement climatique sur les forêts et notamment, selon Olivier Picard, la sécheresse de 2003. "On a alors regardé les trente dernières années et constaté un stress hydrique grandissant dans les forêts, notamment dans des régions comme les Pays de la Loire." Quant aux deux tempêtes séculaires de 1999 et 2009, elles ont décimé la moitié des stocks de bois de la forêt des Landes, selon l'Inra (Dossier "La forêt française face au changement climatique" du Numéro de juin de l'Inra magazine (4) ).
Des risques émergeants
A long terme, des évolutions de fond, certes moins spectaculaires, commencent aussi à se profiler. Avec, comme risque majeur, des sécheresses de plus en plus intenses et, surtout, récurrentes. Les arbres y seraient d'autant plus vulnérables que la hausse des températures entraîne un allongement de leur saison de végétation, pendant laquelle ils ont besoin de davantage d'eau et transpirent plus. Des dépérissements de sapins pourraient compter parmi les premières conséquences de cette évolution. Par ailleurs, l'Inra a modélisé le déplacement des aires de distribution des essences d'arbres en fonction de la nouvelle donne climatique prévue en 2050 et 2100. Résultats: les peuplements de Méditerranée et du Sud-Ouest s'étendraient vers le Nord, ceux de l'Est et des montagnes s'amenuiseraient.
Plus précisément, les chercheurs se sont penchés sur le cas du chêne vert (5) et du hêtre (6) . Alors que le premier, qui s'épanouit actuellement autour de la Méditerranée, coloniserait tout l'Ouest et le centre de la France jusqu'à la vallée de la Loire d'ici 2100, le second subirait un déclin notoire : présent à peu près partout dans l'hexagone aujourd'hui, il disparaîtrait de toute la façade Ouest et Sud-Ouest.
Au-delà de ces grandes évolutions de l'aire géographique des essences d'arbres, le changement climatique risque de provoquer l'émergence ou le déplacement de maladies, de champignons et d'insectes ravageurs. En témoigne la chenille processionnaire du pin, qui ne dépassait jamais le massif central et qui atteint, depuis quelques années, la région parisienne selon Olivier Picard. Principale cause : des hivers de plus en plus doux.
D'un autre côté, l'Inra relève que la concentration de CO2 dans l'atmosphère stimule l'activité photosynthétique et la croissance des arbres. Un effet positif, au premier abord, pour la production de bois. Mais en contrepartie, elle rendrait les arbres plus sensibles aux contraintes du milieu et dégraderait leurs propriétés technologiques (résistance, élasticité, dureté du bois, etc).
Assister et accélérer l'adaptation des arbres
Encore au stade expérimental pour la plupart, des pistes d'adaptation des forêts au changement climatique émergent. "Pour l'instant, nous n'avons pas encore assez de données scientifiques pour formuler des recommandations fermes aux forestiers, précise Olivier Picard. Et même à l'avenir, il nous faudra travailler dans l'incertitude, face à un climat erratique…"
Une des solutions envisagées consiste à aller dans le sens, voire à accélérer les effets de ces évolutions en favorisant les espèces les plus résistantes à la sécheresse, au détriment des plus vulnérables. Ces dernières pourraient être conservées dans les milieux plus humides, moins exposés, aux sols profonds. Ainsi, selon l'Inra, les espèces à feuilles caduques seraient mieux adaptées que les feuillus et épineux. La sélection de ces essences peut se jouer à différents niveaux : d'une part, pourquoi ne pas opter pour des espèces habituées à la sécheresse, comme le cèdre du Liban, pour repeupler la forêt des Landes par exemple, note Jean-Marc Guehl. D'autre part, il est possible de puiser parmi la variabilité génétique d'une même espèce, en choisissant les pins maritimes d'origine méditerranéenne plutôt que française, poursuit le chercheur. Enfin, il s'agit d'exploiter une variabilité individuelle très importante dans les populations d'arbres. L'ambition est ici de sélectionner les gènes qui procurent à l'arbre un avantage adaptatif, afin d'aboutir à une innovation variétale favorisant la résistance à la sécheresse.
Autre piste d'adaptation : la migration assistée. "La biodiversité s'est déjà adaptée à de grands changements climatiques par le passé, souligne Jean-Marc Guehl. Mais cette fois, l'évolution est trop rapide, et les arbres risquent de dépérir avant d'avoir eu le temps de migrer." Une question de rythme donc, "quand on sait que les chênes ont mis près de 2 000 ans à traverser la France à l'ère post-glaciaire", souligne l'Inra dans son magazine. Pour l'instant, certains forestiers commencent à anticiper ces changements en privilégiant des espèces plus méridionales, mais les outils juridiques ne sont pas encore adaptés à cette solution. Olivier Picard préconise de réviser un dispositif de contrôle des provenances – des aides de l'Etat incitant à planter telle essence dans telle région - aujourd'hui dépassé selon lui.
Enfin, l'heure est à la sylviculture adaptative. Ainsi, les futaies peuvent être éclaircies afin de limiter le prélèvement de l'eau des sols par les arbres, puis son évapotranspiration. Un juste milieu doit toutefois être trouvé pour maintenir l'humidité atmosphérique de la forêt. Par ailleurs, mélanger une diversité d'essences d'arbres permet de renforcer ces derniers : soit pied par pied dans les zones les plus menacées, soit parcelles par parcelles afin de faciliter la production de bois, explique Olivier Picard. Cette biodiversité mélangée permet d'offrir plusieurs cartes au jeu des forestiers, pour peu que les espèces soient complémentaires, rappelle Jean-Marc Guehl : le chêne sessile aux racines profondes et le hêtre aux racines superficielles par exemple. Quelles mesures pour les forêts dans le Pnacc
- La mesure phare : Conserver, adapter et diversifier les ressources génétiques forestières
- Intensifier la R&D sur l'adaptation des forêts au changement climatique afin d'identifier les espèces les plus vulnérables et les plus résistantes, la résilience des écosystèmes, comprendre les flux d'eau dans la forêt, mais aussi la perception et le comportement des acteurs de la filière.
- Rendre plus accessible les données écologiques et climatiques, suivre l'impact sur les écosystèmes forestiers grâce à des données topographiques, géomatiques, sanitaires, des scénarios régionalisés, etc.
- Améliorer la gestion forestière, en favorisant la capacité d'adaptation des peuplements forestiers.
Quid de la filière bois
Derrière cette nécessaire adaptation des forêts se cachent des enjeux divers, et notamment le maintien des services rendus par ces écosystèmes : captage du carbone, production d'eau, protection des sols contre l'érosion, action sur les microclimats, loisirs, mais aussi utilisation du bois dans l'énergie (chauffage et agrocarburant) et dans les matériaux.
Pour la production de cette ressource, le changement climatique peut avoir des effets retors. Ainsi, selon l'Inra, "les arbres les plus performants en termes de croissance seraient les plus fragiles en cas de sécheresse", ce qui va à l'encontre de la préférence de la sylviculture pour les espèces les plus productives. En revanche, la filière bois n'est pas forcément prête à suivre les nouvelles pratiques de gestion des forêts. En témoigne le cas du chêne pédonculé, qui supporte mal la sécheresse sur la façade atlantique. Il faudrait donc, selon Olivier Picard, les espacer davantage et couper les arbres vieillissants. Mais comment écouler cette arrivée massive de bois sur le marché ? Ainsi, au-delà des gestionnaires des forêts, c'est tout une filière qui va devoir s'adapter à ces évolutions environnementales en cours.